Entreprise en difficultés : Prévenir et anticiper pour mieux préserver l’activité

Alicia COLLOT, Juriste

Au deuxième trimestre 2025, il a été comptabilisé près de 15 612 procédures collectives en France, soit une hausse de 14,6 % par rapport à la même période de 2024. Cette augmentation confirme une tendance observée depuis 2024, année marquée par un record de défaillance, bien que dans son rapport du 1er semestre 2025, le CNAJMJ (Conseil National des Administrateurs Judiciaires et des Mandataires Judiciaires) se voulait plutôt rassurant en invoquant « une certaine stabilisation ».

Force est de constater que la liquidation judiciaire demeure la procédure la plus fréquente avec 10 667 ouvertures (+8,5 %) en 2025, même si les redressements judiciaires progressent fortement (+32,1 %, soit 4 393 cas). Ce dernier chiffre marque non seulement une désacralisation/dédramatisation du redressement judiciaire autrefois perçu comme un aveu d’échec ou une honte pour le dirigeant, mais il montre également qu’il est aujourd’hui davantage perçu comme un outil de gestion de crise, légitime et parfois salvateur ou stratégique.

Les outils préventifs pour anticiper les difficultés

La prévention des difficultés vise à détecter et résoudre les problèmes financiers avant qu’ils ne deviennent irréversibles. Contrairement aux procédures collectives, ces mesures sont confidentielles, rapides et visent à favoriser un accord amiable entre l’entreprise et ses créanciers.

Le mandat ad hoc

Le mandat ad hoc permet au dirigeant de solliciter l’intervention d’un mandataire ad hoc désigné par le Président du tribunal. Ce professionnel, assiste l’entreprise dans la négociation de ses dettes et la recherche de solutions amiables. L’objectif est d’éviter la cessation des paiements par une concertation informelle avec les créanciers. Cette procédure ne constitue pas une action judiciaire formelle et reste entièrement confidentielle.

La procédure de conciliation

La conciliation constitue une étape préventive supplémentaire pour régler les tensions financières avant la cessation des paiements. Le tribunal nomme un conciliateur chargé de faciliter les discussions entre l’entreprise et ses créanciers, en vue de conclure un accord amiable qui peut, le cas échéant, être homologué par le tribunal. Durant la procédure, l’entreprise bénéficie d’une protection juridique contre les actions individuelles des créanciers. En cas d’échec, des procédures collectives comme la sauvegarde ou le redressement judiciaire deviennent envisageables.

L’importance de l’anticipation comptable et financière

Au quotidien, la prévention des difficultés passe aussi par la détection des signaux d’alerte de sous-performance de l’entreprise. Plusieurs faisceaux d’indices permettent d’anticiper la défaillance d’une société : son chiffre d’affaires, sa rentabilité, le poids de la dette, son seuil de rentabilité, sa trésorerie… En effet, il est important que la société ait une gestion rigoureuse de sa trésorerie, en collaboration avec l’expert-comptable, notamment via le suivi des prévisions de trésorerie et des dispositifs comme le PGE. Il est aussi recommandé que cette dernière diversifie ses relations bancaires afin de mieux négocier en cas de tensions, tout en ayant un dialogue ouvert avec les partenaires sociaux et les représentants du personnel ce qui facilite la gestion humaine de la restructuration. La prévention constitue donc un levier stratégique pour résoudre amiablement des contentieux, fiscaux ou financiers, avant qu’ils ne dégénèrent.

Le rôle central de l’avocat dans la prévention et la gestion des crises

L’avocat spécialisé en droit des entreprises en difficulté joue un rôle clé à toutes les étapes, de la prévention à la liquidation judiciaire d’une société.

Conseiller et structurer la prévention

Avant toute procédure, l’avocat aide le dirigeant à analyser la situation financière et à déterminer la stratégie la plus appropriée : recours au mandat ad hoc, conciliation ou, si nécessaire, sauvegarde. Il participe à la négociation avec les créanciers et à la restructuration de la dette, tout en garantissant la continuité de l’activité et la conformité juridique des mesures prises.

Accompagnement du dirigeant dans les procédures collectives

Lorsque la situation exige l’ouverture d’une procédure collective, l’avocat assiste le dirigeant dans la constitution du dossier, la rédaction des déclarations et la défense devant le tribunal. Il intervient dans les négociations avec les créanciers, l’administrateur ou le mandataire judiciaire et suit l’ensemble de la procédure, y compris l’élaboration de plans de redressement ou la cession partielle d’actifs.

Protection du dirigeant et des associés

L’avocat protège le dirigeant contre les risques de mise en cause personnelle, tels que les actions en comblement de passif ou l’interdiction de gérer. Il vérifie également que les associés ne soient pas indûment responsables des dettes sociales et limite les conséquences financières personnelles en cas d’insuffisance d’actifs.

Accompagnement des créanciers

Parallèlement, l’avocat peut représenter les créanciers afin de garantir la déclaration et la protection de leurs créances, contester toute décision injuste et participer aux négociations de plans de remboursement, maximisant ainsi leurs chances de recouvrement.

Préparer et réussir la gestion de crise

Certaines procédures collectives, y compris la liquidation, peuvent être anticipées et préparées afin de protéger au mieux l’entreprise et ses parties prenantes. Une liquidation dite « réussie » repose souvent sur une préparation en amont, incluant notamment l’identification des difficultés, la négociation avec les créanciers, ainsi que la mise en place d’outils préventifs tels que le mandat ad hoc ou la conciliation. Le climat de confiance, la confidentialité et la coordination entre les professionnels (avocats, experts-comptables, administrateurs ou mandataires judiciaires, conciliateurs) jouent ici un rôle déterminant.

L’avocat corporate occupe une position centrale dans ce processus. Il structure la stratégie globale, coordonne les intervenants et sécurise juridiquement les prises de décision et leur mise en œuvre. Son rôle ne s’arrête pas à l’ouverture de la procédure : même en cas de liquidation judiciaire, il peut assister le dirigeant pour identifier et approcher d’éventuels repreneurs, organiser la présentation des actifs, et participer aux discussions visant à préserver l’outil de production, les savoir-faire ou une partie des emplois. L’objectif reste alors de maximiser la valeur résiduelle de l’entreprise et de limiter les impacts sociaux et économiques de la cessation d’activité.

Conclusion

La prévention des difficultés des entreprises n’est pas une simple option : elle constitue aujourd’hui une stratégie indispensable pour anticiper les tensions financières, préserver l’activité et protéger tout à la fois les dirigeants, les associés et les créanciers. Les outils préventifs tels que le mandat ad hoc et la conciliation, associés à un accompagnement juridique et comptable rigoureux, permettent dès lors de réduire le recours aux procédures collectives et d’optimiser les chances de redressement ou de liquidation maîtrisée. Dans un contexte économique marqué par une hausse des défaillances et une fragilité sectorielle persistante, la prévention demeure le meilleur levier pour sécuriser l’avenir des entreprises.

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