Santina MAGNIER, Avocate

La preuve occupe une place centrale dans le procès civil. Aux termes de l’article 9 du Code de procédure civile en effet, « il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ». En application de cette disposition, c’est donc au demandeur qu’il appartient de fournir tout élément probatoire de nature à justifier ses allégations. L’expertise constitue à ce titre un outil essentiel, notamment dans les litiges nécessitant des connaissances spécialisées où elle permet d’apporter à la juridiction un éclairage technique.
La valeur probatoire attachée aux conclusions expertales dépend cependant des conditions dans lesquelles les opérations ont été réalisées. En effet, même lorsqu’elle est menée de manière contradictoire, l’expertise amiable a une valeur probante inférieure à celle ordonnée par un Tribunal. La Cour de cassation considère, sur le fondement de l’article 16 du Code de procédure civile, que « le juge ne peut se fonder exclusivement sur le rapport établi à la suite d’une expertise réalisée à la demande de l’une des parties » (Cass. 2ème civ., 13 sept. 2018, n°17-20.099).
Dans ce contexte, l’expertise judiciaire peut parfois apparaître comme un préalable nécessaire : ordonnée par un juge, conduite de manière impartiale et contradictoire, elle constitue un moyen de preuve qui peut dans certains cas s’avérer nécessaire pour établir les faits avant de saisir une juridiction au fond.
La charge de la preuve dans le procès civil
Le droit de la preuve se trouve aujourd’hui codifié dans le Code civil aux articles 1353 et suivants, ainsi qu’aux articles 9 à 11 et 132 à 322 du Code de procédure civile.
Il ressort notamment de ces dispositions que la charge de la preuve incombe par principe au demandeur à l’allégation, indépendamment du point de savoir s’il est demandeur ou défendeur à l’instance. Dit autrement, le droit que l’on ne parvient pas à prouver revient, pour l’intéressé, à un droit qui pourra difficilement être exécuté.
Par exception, des aménagements à cette règle ont été instaurés et s’effectuent par le biais de présomptions, légales ou jurisprudentielles, qui ont pour effet de dispenser celui au profit duquel elles sont édictées de rapporter la preuve du fait que la loi tient pour certain. Ces présomptions n’ont pas la même intensité selon qu’elles sont dites simples, irréfragables ou mixtes.
Les différents modes de preuve dans le procès civil
Les parties à un procès ne sont pas nécessairement libres de faire la preuve par n’importe quel moyen. En droit français, le Code civil classe les procédés de preuve en deux catégories :
- Les modes de preuve parfaits : L’écrit, l’aveu judiciaire et le serment décisoire.
Ces derniers sont admissibles en toutes matières et lient dans une mesure variable le juge.
- Les modes de preuve imparfaits : témoignage, aveu extrajudiciaire et serment déféré d’office.
Ils peuvent être écartés dans certains domaines et ne s’imposent jamais au juge.
Bien qu’il s’agisse d’un mode de preuve parfait, l’écrit n’a pas la même valeur selon qu’il s’agit d’un acte authentique qui bénéficie alors d’une force probante renforcée, ou bien d’un acte sous seing privé c’est-à-dire un document qui porte la signature de celui duquel il émane.
Enfin, soulignons que si la preuve d’un fait est libre en ce sens que tous les moyens de preuve précédemment énumérés sont admissibles à la condition d’être obtenus de façon loyale et non frauduleuse, la loi indique quels sont les modes recevables pour faire la preuve d’un acte juridique.
L’expertise comme élément central de l’administration de la preuve
L’expertise est un mode de preuve qui peut être utilisé par une partie à un procès pour établir les faits nécessaires au succès de ses prétentions.
En effet, une telle mesure peut parfois s’avérer nécessaire dans certains litiges pour éclairer le juge sur des aspects techniques du dossier. Une expertise n’a donc pas à être ordonnée lorsque d’autres constatations suffisent à éclairer la juridiction, conformément à l’article 263 du Code civil.
A titre d’illustration, en matière immobilière, il est possible de solliciter la désignation d’un expert afin notamment de constater l’existence des désordres, en déterminer la date d’apparition et les causes, dire si elles sont de nature décennale et chiffrer le montant des réparations à prévoir.
Le recours à l’expertise judiciaire peut parfois s’avérer d’autant plus primordial pour le demandeur, les juridictions ne pouvant fonder exclusivement leur décision sur une expertise non-judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties, même réalisée de manière contradictoire. (Cass, 2ème civ, 25 mai 2022, n°21-12.081 ; Cass. 2ème civ., 13 sept. 2018, n°17-20.099 ; Cass., Civ. 3ème, 14 mai 2020, n°19-16.278 et n°19-16279)
Les investigations réalisées par l’expert au contradictoire des parties permettront ainsi d’évaluer si les conditions d’une action au fond sont réunies.
Le rôle et la portée du rapport de l’expert judiciaire
Après avoir effectué ses constatations et permis à chacune des parties de faire valoir ses observations dans le respect du contradictoire, l’expert judiciaire adresse son rapport définitif au Tribunal.
Bien que le juge ne soit pas lié par les conclusions de l’expert, celles-ci bénéficient d’une force probante significative en raison de la compétence technique de ce dernier.
Une fois le rapport déposé et la mission de l’expert terminée, deux voies s’ouvrent généralement :
- Soit les parties parviennent à un accord amiable ;
- Soit une procédure au fond est engagée devant le Tribunal judiciaire sur la base des conclusions techniques déposées.
L’expertise judiciaire apparaît ainsi, dans certains dossiers, comme un préalable essentiel à l’action au fond, permettant d’assurer la solidité des demandes et de sécuriser la procédure.
Conclusion
En définitive, la preuve constitue le fondement du procès civil et l’expertise en est souvent l’instrument essentiel, notamment lorsque le litige présente une dimension technique.
L’expertise judiciaire, conduite de manière impartiale et contradictoire, offre une valeur probatoire pleinement exploitable par la juridiction saisie du fond du dossier. Le rapport déposé par l’expert éclaire la juridiction et sécurise l’action au fond.
Ainsi, dans de nombreux dossiers, l’expertise judiciaire s’impose comme un préalable nécessaire à l’engagement d’une procédure.