Alicia COLLOT, juriste
Le droit des sociétés a connu une réforme majeure par l’ordonnance n°2025-229 du 12 mars 2025 dont l’entrée en vigueur est prévue pour le 1er octobre 2025. Il convient de savoir que le régime des nullités en droit des sociétés a été perçu comme source d’instabilité et d’incertitude pour les entreprises. Longtemps critiqué à raison de sa complexité, l’ordonnance visée tend dès lors à inverser la tendance en rendant plus accessible ce droit, en le modernisant tout en garantissant une meilleure sécurité juridique des structures sociétaires.

Les nouvelles ambitions affichées par le législateur en droit des sociétés
Il convient de savoir que deux objectifs fondamentaux ont guidé cette réforme structurante du droit des sociétés.
1. Renforcer la stabilité juridique des décisions sociales
La possibilité d’annuler certaines décisions prises au sein d’une société pouvait jusqu’alors engendrer des effets déstabilisateurs, notamment lorsqu’un contentieux survenait longtemps après l’acte. La réforme vise donc à éviter les annulations excessives ou déconnectées des enjeux réels, en instaurant un mécanisme de contrôle plus exigeant. Le juge devient un véritable arbitre de l’équilibre entre rigueur juridique et sauvegarde de l’intérêt général de la société.
2. Clarifier et unifier le droit applicable en matière de sociétés
Auparavant, le régime des nullités était éclaté entre le Code de commerce et le Code civil, créant une insécurité juridique pour les praticiens. En rassemblant désormais les règles dans le Code civil (articles 1844-10 et suivants), la réforme met fin à cette dualité et facilite la lecture et l’application du droit par tous les acteurs du monde économique.
Les apports majeurs de l’ordonnance n°2025-229 du 12 mars 2025
1. Le triple filtre du juge : une condition stricte pour prononcer la nullité des décisions dans les sociétés
Désormais, toute action en nullité devra répondre à trois conditions cumulatives :
- Un grief personnel : le demandeur doit démontrer que la règle méconnue lui causait un préjudice direct.
- Une influence de l’irrégularité : il faut prouver que le vice a réellement affecté le contenu de la décision.
- Une proportionnalité des conséquences : la nullité ne sera prononcée que si ses effets ne compromettent pas de manière disproportionnée l’intérêt de la société.
Ce mécanisme vise dès lors à prévenir les recours abusifs, en cascade ou purement stratégiques, en privilégiant une logique de régularisation plutôt que de sanction systématique.
2. La validité maintenue des décisions prises dans les sociétés par un organe irrégulier
Une avancée majeure réside dans la distinction entre la régularité de la nomination d’un organe et la validité de ses actes. Aussi, une erreur dans la désignation d’un administrateur ou d’un dirigeant ne remettra plus automatiquement en cause la validité des décisions prises par cet organe. Cela permet de sécuriser les opérations courantes de la société et d’éviter l’effet domino des annulations en chaîne.
3. La possibilité de différer les effets de l’annulation d’une décision prise dans une société
Dans certains cas, annuler immédiatement une décision pourrait gravement nuire à la société et à son intérêt social. La réforme permet au juge d’atténuer les effets de la nullité en différant son application dans le temps. Ce pouvoir d’appréciation permet de mieux adapter la sanction à la réalité économique et sociale de la société concernée.
4. Un délai d’action raccourci à deux ans
Le nouveau délai de prescription de l’action en nullité est fixé à deux ans à compter de la connaissance de l’acte ou de la décision contestée. Cette réduction incite les parties à agir avec célérité et contribue en sus à une plus grande stabilité juridique, en évitant les litiges tardifs et préjudiciables pour les sociétés.
Une réforme aux implications concrètes pour les entreprises
Cette réforme n’est donc pas simplement théorique. Elle transforme concrètement la pratique du droit des sociétés. Les juges, les avocats, les dirigeants et les investisseurs bénéficieront d’un cadre plus lisible et sécurisé. Elle marque également la volonté du législateur de faire du droit français un outil compétitif à l’échelle européenne, notamment en attirant les capitaux étrangers soucieux de sécurité juridique.
Les sociétés cotées, quant à elles, bénéficient de règles spécifiques : par exemple, une action en nullité ne sera plus recevable après la réalisation d’une augmentation de capital. Ce verrouillage juridique est dès lors conçu pour stabiliser les marchés financiers et renforcer la confiance des investisseurs.
Conclusion : vers un équilibre entre rigueur juridique et efficacité économique
La refonte du régime des nullités constitue une avancée importante dans la modernisation du droit des sociétés et se veut plus prévisible pour les praticiens du droit des affaires. En conciliant impératifs juridiques et réalités économiques, cette réforme s’inscrit dans une dynamique plus large de sécurisation du droit applicable aux entreprises. Elle témoigne d’une évolution du rôle du juge, désormais garant d’un équilibre entre sanction et intérêt social, au service d’une meilleure attractivité du droit français.