CSRD : Simplification de la réglementation ou recul sur la transparence ?

Sandra NICOLET, Avocat Directeur

La Directive sur la publication d’informations en matière de durabilité des entreprises [Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD)] ou Directive 2022/2464 représente un tournant majeur en matière de réglementation européenne relative à la durabilité des entreprises. Elle succède à la Directive sur la publication d’informations non financières (NFRD) et étend le champ d’application des exigences de reporting, tout en introduisant des règles plus strictes et détaillées. Toutefois, cette initiative suscite un débat important : est-ce une simplification de la réglementation pour les entreprises, ou au contraire un recul sur la transparence des informations fournies aux parties prenantes ?

Le contexte de la réforme : une nécessité de renforcement de la durabilité

Avant l’adoption du CSRD, la NFRD (Directive 2014/95/EU) imposait aux grandes entreprises européennes de publier des informations relatives à leurs activités durables, principalement concernant l’environnement, le social et la gouvernance (ESG). Toutefois, cette directive a montré ses limites : manque de cohérence dans les informations fournies, absence de standardisation des données et une faible couverture des entreprises (seules celles de plus de 500 employés étaient concernées). En France, la NFRD est appliquée par le décret du 9 août 2017.

Le CSRD, adopté en 2022, entendait remédier à ces carences en offrant un cadre plus robuste et plus uniforme. L’objectif était de garantir une plus grande transparence en matière de durabilité, de manière à répondre aux attentes des investisseurs, des consommateurs et des autres parties prenantes soucieuses de l’impact environnemental et social des entreprises.

Le CSRD est au cœur des discussions sur la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ces derniers temps. Mais la Commission européenne a présenté le 26 février dernier un projet de directive « Omnibus » destinée à réformer ce texte, afin de le simplifier. 

Rappel : Objectifs et portée de la CSRD

LE CSRD se distingue par plusieurs éléments majeurs :

1. Extension du champ d’application : Toutes les grandes entreprises, indépendamment de leur statut juridique, étaient soumises à la réglementation (sociétés cotées, grandes entreprises non cotées et entreprises de taille intermédiaire).

2. Normes de reporting détaillées : Le CSRD imposait l’utilisation de normes spécifiques pour la publication des informations ESG. Ces normes, élaborées par la Commission Européenne et l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), visent à standardiser les données et à garantir leur comparabilité au niveau européen.

3. Audit des informations ESG : Les informations relatives à la durabilité devaient être vérifiées par des auditeurs indépendants, afin de renforcer la crédibilité et la fiabilité des rapports.

4. Reporting numérique : Les entreprises devaient publier leurs informations de manière numérique et sous un format unique, dans l’optique de faciliter l’accès et la comparaison des données par les parties prenantes.

5. Focus sur le double matérialité : Le concept de double matérialité était au cœur du CSRD. Cela signifiait que les entreprises devaient rendre compte non seulement des risques liés aux questions ESG qui pouvaient affecter leur performance financière, mais aussi de l’impact de leurs activités sur l’environnement et la société.

Simplification ou complexification ?

Si le CSRD visait indéniablement à renforcer la transparence des entreprises, il a été relevé qu’il pourrait en réalité entraîner une complexification de la réglementation. En effet, la mise en place de normes strictes, l’audit des informations ESG et l’obligation d’un reporting numérique exigaient des ressources humaines et financières importantes, notamment pour les entreprises qui n’avaient pas encore mis en place de système de reporting en matière de durabilité.

Les petites et moyennes entreprises (PME), bien que moins nombreuses à être directement concernées par la réglementation, le sont néanmoins puisqu’elles doivent également faire face à des exigences indirectes, en particulier lorsqu’elles entretiennent des relations commerciales avec des grandes entreprises. Cela entrainait comme contrainte l’alourdissement des obligations administratives et logistiques pour ces structures, souvent mal préparées à ce type d’exigences, souvent nouvelles.

Réforme Omnibus

Le 26 février 2025, la Commission européenne a présenté un ensemble de mesures connues sous le nom de « réforme Omnibus », visant à simplifier l’environnement réglementaire des entreprises au sein de l’Union européenne. Cette initiative cherche à réduire les formalités administratives et à alléger les charges pesant sur les entreprises, tout en maintenant les objectifs climatiques et sociaux de l’UE.

Principales mesures proposées :

1. Simplification du reporting en matière de durabilité : La Commission propose de concentrer les obligations d’information sur les grandes entreprises, en relevant le seuil d’application de la directive sur le reporting de durabilité des entreprises (CSRD) de 250 à 1 000 salariés. Cette mesure vise à alléger les obligations des entreprises de taille intermédiaire et à réduire les charges administratives.

2. Révision du devoir de vigilance : Le devoir de vigilance des entreprises, qui les oblige à identifier et prévenir les risques liés aux droits humains et à l’environnement dans leurs chaînes d’approvisionnement, serait simplifié. L’objectif est de faciliter la mise en œuvre de ces obligations tout en garantissant le respect des normes essentielles en matière de durabilité.

3. Renforcement du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières : La Commission envisage d’adapter ce mécanisme pour promouvoir un commerce plus équitable et éviter le « dumping » environnemental, en s’assurant que les produits importés respectent les normes climatiques de l’UE.

4. Facilitation des investissements européens : Des mesures sont proposées pour libérer le potentiel des programmes d’investissement de l’UE, en simplifiant les procédures et en réduisant les obstacles administratifs pour les entreprises et les investisseurs.

Impact significatif de la réforme « Omnibus » du 26 février 2025 sur les PME

La réforme « Omnibus » du 26 février 2025 a des impacts significatifs sur les PME en matière de reporting de durabilité. Voici les principaux points à retenir :

1.Allègement des obligations de reporting : La réforme « Omnibus » a considérablement réduit les charges administratives pour les PME. Environ 80 % des entreprises initialement concernées par la CSRD, dont de nombreuses PME, sont désormais exclues du champ d’application de la directive. Cela signifie que ces entreprises ne sont plus tenues de se conformer aux exigences strictes de reporting de durabilité, ce qui allège leur charge administrative et leurs coûts de conformité.

2.Exemptions spécifiques : Les PME et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) bénéficient d’exemptions spécifiques. Par exemple, elles ne sont plus obligées de fournir des rapports détaillés sur leurs performances ESG, ce qui leur permet de se concentrer sur leurs activités principales sans être accablées par des exigences de reporting complexes.

3.Report des exigences de reporting : La réforme a également reporté de deux ans les exigences de reporting pour certaines entreprises, y compris les PME cotées. Cela leur donne plus de temps pour se préparer aux nouvelles exigences et mettre en place les systèmes nécessaires pour collecter et rapporter les données ESG.

Réactions et controverses : recul sur la transparence ?

Malgré les intentions de simplification, la réforme « Omnibus » a été critiquée pour son impact potentiel sur la transparence. En excluant une grande partie des entreprises du champ d’application de la CSRD, la réforme pourrait créer une « RSE à deux vitesses ». Les entreprises exemptées pourraient ne pas considérer la responsabilité sociale et environnementale comme un levier stratégique, ce qui pourrait creuser le fossé entre les entreprises engagées dans la durabilité et celles qui ne le sont pas.

Conclusion

La CSRD représente une étape importante vers une plus grande transparence et une meilleure prise en compte des enjeux de durabilité dans le monde des affaires. Toutefois, il est essentiel de veiller à ce que cette réglementation ne devienne pas un simple exercice de conformité, mais qu’elle favorise réellement une divulgation transparente et utile des informations ESG. La réforme « Omnibus » du 26 février 2025, bien qu’elle vise à simplifier les obligations de reporting, soulève des questions quant à son impact sur la transparence et l’engagement des entreprises en matière de durabilité.

Il est donc important de surveiller les effets à long terme de ces exemptions sur la transparence ainsi que l’engagement des entreprises, dont les PME, en matière de durabilité.

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