Alicia COLLOT, Juriste
Le décret n° 2025-840 du 22 août 2025 introduit une innovation majeure en droit des sociétés : la possibilité pour les dirigeants et associés de masquer leur adresse personnelle dans les documents officiels. Ce dispositif, codifié à l’article R. 123-54-1 du Code de commerce, répond ainsi à une préoccupation croissante : sécuriser les données sensibles à l’aune du numérique et de ses dérives, tout en maintenant un niveau suffisant de transparence pour le monde économique.

1. Une réforme justifiée par l’évolution des risques numériques
a) La protection de la vie privée comme impératif
La généralisation de la publicité en ligne des registres (RCS et RNE) avait pour effet de rendre accessibles à tous, les adresses personnelles des gérants, présidents, directeurs généraux et autres mandataires sociaux. Dans un contexte où la cybercriminalité, l’usurpation d’identité et le harcèlement numérique sont en hausse et davantage depuis l’essor de l’intelligence artificielle, force est de constater que cette exposition représentait une menace directe et certaine pour les personnes concernées.
Inspiré par le RGPD et soutenu par la CNIL, le décret vise dès lors à réduire ce risque en restreignant la diffusion de ces informations au public. L’avis positif rendu par la CNIL le 17 juillet 2025 a d’ailleurs validé la conformité du dispositif au droit de la protection des données.
b) Une procédure simplifiée et rapide
Le dispositif vise deux catégories de personnes :
- Les dirigeants de personnes morales : gérants, présidents, directeurs généraux, directeurs délégués, membres du directoire ou du conseil de surveillance ;
- Les associés indéfiniment responsables : notamment dans les sociétés en nom collectif (SNC) ou en commandite simple.
Cette protection bénéficie uniquement aux dirigeants en fonction. Les anciens mandataires sociaux ne sont pas couverts par le texte, ce qui laisse dès lors leurs informations personnelles accessibles.
La demande de confidentialité se fait exclusivement par le guichet électronique des formalités d’entreprise, opéré par l’INPI, ou directement auprès du greffe.
Le greffier dispose d’un délai maximal de cinq jours ouvrables pour instruire la demande et délivrer un récépissé. En cas de silence, le juge commis à la surveillance du registre peut être saisi.
Le décret prévoit également la conservation de la demande comme justificatif pendant un an et exige, pour les actes déjà publiés, qu’une copie occultée soit transmise pour remplacer la version originale. Seule l’adresse personnelle est concernée : le siège social et les adresses professionnelles demeurent publiquement accessibles, ce qui limite l’intérêt du dispositif pour les dirigeants dont le domicile est aussi le siège de leur société.
c) Un coût encadré
Lorsqu’elle accompagne une formalité au RCS (immatriculation, modification ou radiation), la demande d’occultation du Kbis est gratuite.
En dehors de ce cas il convient de prévoit les sommes suivantes :
- 53,38 € TTC pour la seule occultation du Kbis,
- 7,63 € TTC par acte pour les pièces à remplacer,
- Cumul en cas de demande mixte.
2. Une confidentialité relative : des accès réservés
Le législateur a choisi de ne pas instaurer une confidentialité totale de ces données.
En effet, il ressort que l’adresse d’origine reste consultable par certaines autorités et professions réglementées à l’instar : des autorités judiciaires, des services de police et de gendarmerie, du TRACFIN, de l’administration fiscale et douanière, des notaires, des commissaires de justice, des mandataires judiciaires, ainsi que certains organismes publics (URSSAF, INSEE, administrations de contrôle).
Par ailleurs, les représentants légaux de la société, les associés et les créanciers peuvent y accéder en prouvant l’existence d’une créance née dans le cadre de l’activité professionnelle du dirigeant.
Cette solution cherche à équilibrer la protection des personnes et les besoins de contrôle, mais laisse subsister des points de vulnérabilité : l’exclusion des anciens dirigeants et l’absence d’extension à d’autres registres comme celui des bénéficiaires effectifs.
3. Perspectives d’amélioration
Si la réforme marque une avancée indéniable, elle pourrait être renforcée.
Trois pistes d’évolution se dessinent alors :
- Inclure les anciens dirigeants afin de garantir une protection dans la durée ;
- Automatiser l’occultation pour réduire la charge administrative et uniformiser le traitement ;
- Élargir le champ d’application à d’autres registres sensibles afin d’éviter les contournements
Conclusion
Ainsi, cette réforme constitue indéniablement un progrès concret pour la protection de la vie privée des dirigeants d’entreprise et aligne la France sur les meilleures pratiques européennes. Son succès dépendra toutefois de la réactivité des greffes et de l’INPI, ainsi que de futures évolutions législatives visant à combler les lacunes identifiées. Elle traduit en sus un équilibre subtil entre protection individuelle et impératifs de transparence économique.