Incendie chez OVH : clauses limitatives de responsabilité retenues et force majeure rejetée 

Mathieu MARTIN, Avocat Associé

Les clauses limitatives de responsabilité donnent souvent lieu à d’âpres négociations tout comme les clauses élusives de responsabilité, dont celle de la force majeure.

La Cour d’appel de Douai dans son arrêt du 24 avril 2025 a eu l’occasion de faire un rappel sur la portée de ces clauses dans le cadre du sinistre intervenu chez OVH en 2021.  

Les faits et la procédure

Dans la nuit du 9 au 10 mars 2021, un incendie est survenu dans les datacenters de la société OVH.  Le 3 avril 2021, la société OVH a informé la société Bâti courtage que le « backup », souscrit avait lui aussi été détruit totalement et irrémédiablement par l`incendie, les sauvegardes étant stockées dans le même bâtiment que celui où se trouvait le serveur principal intégralement détruit par l`incendie.

Le Jugement du Tribunal de commerce de LILLE METROPOLE du 29 janvier 2023

Par jugement du 26 janvier 2023, le Tribunal de commerce de Lille a notamment jugé que :

  • que la société OVH n’avait pas commis de faute lourde ou de graves manquements à la sécurité anti incendie de son datacenter
  • devait être déclarée non écrite la clause « Force majeure » du contrat OVH souscrit par la société Bâti courtage ;
  • devait être déclaré non écrites les clauses de limitation de responsabilités des contrats liant les sociétés Bâti courtage et OVH ;
  • le contrat OVH relatif à la sauvegarde souscrit par la société Bâti courtage devait s’interpréter comme suit : « l’espace de stockage alloué à l’option Backup est physiquement isolé de l’infrastructure dans laquelle est mis en place le Serveur Privé Virtuel du client », c’est-à-dire dans un lieu physiquement différent du lieu de stockage des données du serveur principal ;
  • que la société OVH avait commis un manquement contractuel au contrat la liant à la société Bâti courtage ;
  • condamné la société OVH à payer à la société Bâti courtage une somme d’environ 100.00 euros

La société  OVH a formé appel de ce jugement.

La Cour d’appel de DOUAI va infirmer de nombreux chefs de jugement dans son arrêt du 24 avril 2025. Nous revenons ci-après sur certains motifs de la décision. 

Sauvegarde : la notion d’infrastructure « isolée » 

La société Bâti courtage reprochait tout d’abord à la société OVH d’avoir stocké dans un même lieu géographique, objet de l’incendie, le serveur principal ainsi que le « backup », constitué par les 3 répliques effectuées quotidiennement dans le cadre de l’offre de sauvegarde, et ainsi de n’ avoir respecté ni l’engagement, figurant dans l’annexe 1, de dédier « un espace de stockage alloué à l’option Backup physiquement isolé de l’infrastructure dans laquelle est mis en place le serveur privé virtuel », ni les règles de l’art applicable en la matière.

La Cour va faire une interprétation des termes contractuels liant les parties en motivant sa décision comme suit.

Tout d’abord, la Cour va juger que la société Bâti courtage procède par voie de confusion et amalgame lorsqu’elle déduit de l’expression « physiquement isolé » que le backup devait être géographiquement isolé de l’infrastructure contenant le serveur privé, soit dans un datacenter géographiquement différent.

La Cour va estimer qu’en l’absence de définition, l’expression « physiquement isolé » doit s’entendre dans son sens commun, à savoir « comme ce qui est séparé de tout ce qui est voisin, ou encore à l’écart l’un de l’autre ». Ainsi, cela renvoie à l’idée de services reposant sur des infrastructures distinctes et séparées, n’ayant pas de contact entre elles, sans nécessairement qu’elles soient géographiquement éloignées. Juger le contraire reviendrait à ajouter a posteriori au contrat une condition qu’il ne prévoit pas

Ainsi, la Cour va estimer que c’est sans aucun fondement contractuel que la société Bâti courtage affirme que la société OVH aurait manqué à une prétendue obligation de localiser les infrastructures détenant la sauvegarde et le VPS dans des entités géographiquement distinctes et distantes et que dès lors aucune faute, et encore moins une faute lourde, ne saurait être reprochée de ce chef à la société OVH

Cette motivation illustre l’importance et la nécessité de définir certaines notions dans un contrat, sauf à se voir opposer ultérieurement un sens commun qui ne reflètera pas forcément l’espérance ou la croyance d’une partie. Nul doute que lors des négociations contractuelles, une attention toute particulière sera désormais portée sur la localisation des sauvegardes.

Force majeure : une justification essentielle

La société OVH opposait que l’incendie survenu constituait un cas de force majeure. 

Rappelons que la force majeure est définie à l’article 1218 du code civil :  Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.

Cependant, la force majeure n’étant pas une notion d’ordre public, elle peut être aménagée contractuellement   entre professionnels (Com. 8 juill. 1981, no 79-15.626), sauf à priver de sa substance l’obligation essentielle du débiteur ou, dans un contrat d’adhésion, à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.

En l’espèce, la survenance d’un incendie était mentionnée comme constituant un cas de force majeure dans le contrat conclu avec OVH.

La Cour va tout d’abord rappeler que si la clause liste à titre indicatif des événements qui pourront être retenus comme force majeure, cela ne prive pas le juge de son pouvoir de vérifier si lesdits événements présentent les caractéristiques de la force majeure.

La Cour ne va dès lors pas retenir cette clause énonçant que les événements visés doivent, pour être exonératoires de responsabilité, se trouver hors de la maîtrise tant intellectuelle que

matérielle de la « partie affectée », c’est-à-dire présenter un caractère d’extériorité, et être imprévisible et irrésistible ».

On pourra s’étonner du rappel du critère d’extériorité ne ressort pas de l’article 1218 du code civil comme une condition nécessaire à établir la force majeure.

La Cour va poursuivre son raisonnement en indiquant qu’il appartenait à la société OVH, qui se prévaut de cette clause d’exonération de responsabilité, de démontrer que l’incendie survenu répondait, soit aux conditions légales posées par l’article 1218 du code civil, soit à celles contractuellement prévues par les stipulations contractuelles.

La Cour va alors estimer que la survenance d’un cas de force majeure n’est pas démontrée en jugeant que si l’incendie figure bien parmi l’énumération d’événements figurant aux conditions générales, les pièces versées aux débats ne permettent toutefois ni d’en déterminer précisément l’origine, ni d’établir que cet événement était « en dehors du contrôle de la partie affectée », c’est-à-dire elle-même.

La faute de la société OVH est donc confirmée.

Ceci amène à rappeler que si une liste de cas pouvant relever de la force majeure peuvent être prévus contractuellement, encore faut-il que lors de la survenance dudit événement, la partie qui s’en prévaut soit en capacité de démontrer que cela constitue pour elle un cas de force majeure, la simple survenance d’un évènement listé comme tel ne permettant pas, de facto, d’opposer la force majeure, et donc une exonération de responsabilité associée

Clause limitative de responsabilité 

L’article 1170 du code civil dispose :  Toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite.

Cet article qui ne vise pas uniquement des clauses limitatives de responsabilité a néanmoins codifié une jurisprudence issue des arrêts « Chronopost » mais aussi plus particulièrement en matière de contrat IT, la jurisprudence FAURECIA/ORACLE ( Com 29 juin 2010, 09-11.841)

En l’espèce, la Cour va tout d’abord rappeler que le seul critère retenu pour déterminer la validité de la clause s’apprécie au moment de la formation du contrat et consiste à rechercher si la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur est contredite et si la clause prive le contrat de tout intérêt pour le créancier.

Cette appréciation doit être effectuée in concreto au regard de l’équilibre d’ensemble de l’opération contractuelle considérée.

La Cour va ainsi notamment rappeler que les clauses du contrat, et plus particulièrement celles relatives à l’évaluation forfaitaire, prévoient des niveaux de services incluant des pénalités sous forme de crédit, afin d’assurer la disponibilité, à savoir l’accès au serveur, ce qui vise non à nier l’obligation essentielle mais au contraire à obliger la société OVH à respecter ladite obligation.

Par ailleurs, le fait que les préjudices indemnisés soient limités aux dommages directs, et non aux dommages indirects tels que le préjudice ou trouble commercial, la perte de commande, l’atteinte à l’image de marque, ne prive pas l’obligation essentielle de sa substance, mais cantonne uniquement le préjudice indemnisable, ce qui relève de la liberté contractuelle des parties selon la Cour.

Enfin, la Cour va préciser que l’obligation de conservation des données n’est pas de l’essence même de l’obligation souscrite par la société OVH dans le cadre de l’option backup, s’agissant uniquement d’une obligation subséquente et induite par l’obligation d’assurer la disponibilité et l’accessibilité aux données stockées sur le serveur.

Ainsi, la Cour va juger que l’exclusion de responsabilité de la société OVH en cas de « perte, altération ou destruction de tout ou partie des contenus (informations, données, applications, fichiers ou autres éléments hébergés sur l’infrastructure » ne prive pas de sa substance l’obligation essentielle souscrite par la société OVH.

La Cour va donc retenir l’opposabilité de la clause limitative de responsabilité sur l’étendue des préjudices pouvant être indemnisé mais aussi sur le plafond d’indemnisation applicable.   

Préjudices indemnisables : une justification nécessaire  

Si la Cour ne retiendra pas de nombreux préjudices opposés par la société Bati courtage (faisant également application de la clause limitative de responsabilité amenant au paiement de la somme de 1800,49 euros), l’arrêt rappelle néanmoins les principes d’indemnisation applicables, et la nécessité de les justifier de manière détaillée   

La Cour va ainsi notamment rappeler que :

  • s’agissant de clauses limitant le champ de la responsabilité et de l’indemnisation d’une partie, et dérogeant au principe de la réparation intégrale, elles doivent s’appliquer et s’interpréter strictement,
  • que différents postes de préjudice qui étaient opposés étaient « mal circonscrit, voire redondant, des différents postes invoqués par la société Bâti courtage, laquelle reprend parfois les mêmes préjudices sous des intitulés différents, au mépris du principe de la réparation intégrale du préjudice, sans gain ni profit pour la victime. Or, nul ne peut obtenir une double indemnisation d’un même préjudice.

Conclusion

Même si les conditions contractuelles, objet du litige, reposaient sur un contrat d’adhésion, c’est-à-dire non négocié, cet arrêt est l’occasion de rappeler l’importance de la rédaction des clauses d’un contrat, et la nécessité de mesurer leur portée et opposabilité en cas de contentieux. 

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