Olivier COSTA, Avocat associé
La stabilité normative constitue l’un des piliers de la sécurité juridique, condition indispensable à l’investissement et à la conduite des affaires.
Or, l’instrumentalisation croissante des droits de douane par les grandes puissances économiques comme les États-Unis, l’Union européenne, la Chine, menace directement cette stabilité.

Ce phénomène, qui n’est pas nouveau, prend cependant une ampleur inédite et porte en germe un risque systémique pour l’économie mondiale.
Nos gouvernants font désormais des droits de douane, des armes politiques au détriment des entreprises.
Du point de vue d’un chef d’entreprise, cette situation se traduit par une incertitude constante, incompatible avec la nécessité de se projeter à moyen ou long terme. Ce que l’on appelait autrefois une politique commerciale semble désormais relever d’une diplomatie de l’instant, guidée davantage par les tensions géopolitiques que par les exigences du droit international ou les objectifs de développement économique.
Combien de fois n’a-t-on entendu sur un plan national, les entrepreneurs solliciter une stabilité des normes fiscales et sociales pour qu’ils puissent travailler sereinement, générer des richesses et créer de l’emploi.
Leur quotidien, ce sont les délais de livraison, les relations fournisseurs, la gestion des stocks, la trésorerie et – plus que tout – les femmes et les hommes qu’ils emploient.
Ils naviguent entre marges serrées et décisions rapides, se plaignant d’une absence de visibilité à long terme de leurs gouvernements nationaux respectifs.
Et voici qu’ils doivent désormais composer avec l’imprévisibilité géopolitique internationale qui les frappent de plein fouet, déguisée en véritable guerre commerciale.
Ce n’est plus du commerce, c’est du chantage
Chacun y va de ses droits de douane, de sa surtaxe, de sa mesure de rétorsion, d’une application immédiate ou désormais différée.
Une spirale qui dépasse la logique économique pour entrer dans celle, brutale, du bras de fer idéologique.
Le droit douanier est à l’origine conçu comme un levier d’ordre public économique
Il est aujourd’hui instrumentalisé. Il n’obéit plus à une logique de régulation ou de protection raisonnable, mais à une logique d’affrontement politique.
Comment, dans ce contexte, bâtir une stratégie d’import-export sur le moyen ou long terme ?
Comment signer un contrat de trois ans quand on ignore si, dans trois mois, le coût du transport ou de la matière première aura doublé ?
Les grands discours sur la réindustrialisation masquent mal la réalité : ce sont les PME et ETI qui encaissent les chocs. Et ce sont leurs salariés qui en subissent les conséquences.
La remise en cause des principes fondamentaux du droit douanier international
Le droit douanier s’inscrit historiquement dans une logique multilatérale, fondée sur des principes établis par le GATT de 1947 puis consolidés par la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Parmi ces principes figurent la clause de la nation la plus favorisée et le traitement national, garants d’un traitement non discriminatoire entre les membres de l’OMC.
Or, le programme de « commerce et droits de douane réciproques » que vient de présenter Donald Trump n’est rien d’autre qu’une sortie de fait de l’OMC, entraînant une cascade de mesure de rétorsion.
Cela constitue une fragmentation du droit commercial international qui a pour conséquence de miner la prévisibilité du cadre juridique, pourtant essentielle à toute stratégie entrepreneuriale.
Une gouvernance commerciale instable, au détriment des opérateurs économiques
Pour les entreprises, l’effet est immédiat : incertitude tarifaire, renchérissement des coûts d’importation, complexité réglementaire accrue, et donc diminution de la compétitivité. En l’absence de stabilité normative, il devient difficile de contractualiser dans la durée, d’investir, ou même de maintenir des chaînes d’approvisionnement viables.
Cette volatilité affecte particulièrement les PME et les entreprises de taille intermédiaire, moins à même de répercuter les hausses de coûts ou d’absorber les chocs logistiques. Or, ce sont précisément ces entreprises qui constituent l’ossature du tissu productif national et régional.
L’incohérence des politiques commerciales publiques, alternant ouverture, protectionnisme, puis nouvelle ouverture, crée un effet de yoyo juridique destructeur. Les mesures sont prises sans concertation, sans études d’impact transnationales, comme s’il s’agissait de simples variables d’ajustement politique. C’est oublier que chaque variation tarifaire emporte des conséquences économiques concrètes : baisse des volumes, pertes de marché, gel des embauches, voire plans sociaux.
Une irresponsabilité cynique au sommet
Les décisions semblent, faussement, prises à la légère, autour d’une table, et sans cohérence.
Comme si l’on prenait plaisir à faire uniquement des deals, sans s’attarder sur l’avenir de milliers d’entreprises et d’emplois.
Les dirigeants font semblant d’oublier que derrière chaque hausse de tarif douanier, il y a un entrepreneur qui voit sa compétitivité s’effondrer, un salarié qui perd son emploi, un consommateur qui paie plus cher.
Ils feignent d’oublier encore que la stabilité juridique et fiscale est une condition sine qua non de l’investissement et de la croissance.
Le droit douanier ne peut plus être une variable d’ajustement émotionnelle, au gré des tensions diplomatiques ou des échéances électorales.
Il doit redevenir ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : un outil de régulation au service du développement, et non une arme brandie dans une bataille d’égos.
L’urgence d’un retour à la responsabilité normative
Ce contexte appelle une réaffirmation du rôle structurant du droit. Le commerce international ne saurait être réduit à un champ de bataille entre puissances. Il est un vecteur de développement, de coopération et de paix. À ce titre, il doit reposer sur un socle juridique lisible, cohérent et stable.
Les États ont une responsabilité particulière : celle de garantir un environnement juridique prévisible aux opérateurs économiques. Cela passe par une revalorisation des institutions multilatérales (OMC), un respect rigoureux des engagements internationaux, et une plus grande transparence dans l’adoption de mesures tarifaires.
Il est temps que les États adoptent une vision à long terme. Que les règles du jeu soient lisibles, stables, négociées dans le respect du droit international.
C’est une condition de survie pour les entreprises.