Olivier COSTA, Avocat associé – mandataire sportif
Un tacle juridique les deux pieds levés !
Le 18 juin 2024, la cour d’appel de Paris a fait trembler les fondations juridiques du sport professionnel en France. À la suite d’un contentieux opposant Adrien Rabiot au Paris Saint-Germain, les juges ont requalifié les contrats à durée déterminée (CDD) successifs du joueur en contrat à durée indéterminée (CDI). Cette décision, dans l’attente d’un éventuel pourvoi en cassation, pourrait néanmoins bouleverser les pratiques contractuelles de l’ensemble des clubs professionnels. Alors que le CDD semblait intouchable dans l’univers du sport, le droit vient rappeler qu’aucun terrain n’échappe à ses règles.

L’affaire Rabiot c/ PSG
Adrien Rabiot, formé au PSG, a signé plusieurs CDD avec le club entre 2012 et 2019. En décembre 2018, après avoir refusé de prolonger son contrat, le joueur a été mis à l’écart par le club jusqu’à l’expiration de son engagement en juin 2019.
À l’issue de son dernier contrat, le joueur a saisi la justice pour faire reconnaître que ces contrats successifs dissimulaient en réalité une relation de travail à durée indéterminée. En cause : le recours abusif au CDD « spécifique » du sport professionnel, prévu par la loi du 27 novembre 2015 visant à protéger les sportifs de haut niveau et professionnels et à sécuriser leur situation juridique et sociale et intégrée au code du sport.
A l’inverse, le joueur estimait que son emploi au sein du Club était un emploi stable et durable.
La Cour était donc amenée à analyser la relation de travail.
Une décision retentissante
La cour d’appel de Paris a donné raison au joueur : les CDD étaient irréguliers. Les magistrats ont estimé que la succession de contrats ne reposait pas sur un motif valable et que le PSG n’avait pas respecté les exigences de la loi de 2015. Résultat : requalification en CDI, avec à la clé une indemnisation substantielle pour le joueur.
Le CDD « spécifique » dans le sport : un régime dérogatoire… mais encadré
Une exception au droit commun du travail
En principe, le CDD ne peut être utilisé que pour des motifs précis et ponctuels (remplacement, accroissement temporaire d’activité…). Mais la loi de 2015 a introduit un régime spécial pour les sportifs et entraîneurs professionnels, permettant de conclure des CDD sans justifier de ces motifs, dans le but d’adapter le droit à la réalité du secteur.
La carrière des sportifs étant courte et liée à des performances variables, les clubs ont recours aux CDD pour plus d’agilité. Ces contrats sont conclus pour des durées allant habituellement de 12 mois à 5 ans au maximum, selon les cas.
Une liberté encadrée
Toutefois, cette dérogation n’est pas absolue. La jurisprudence rappelle régulièrement que ces CDD doivent respecter plusieurs conditions : durée limitée, absence d’abus, absence de dissimulation d’un CDI. Et surtout, la succession de contrats doit correspondre à de véritables besoins discontinus, et non servir à entretenir artificiellement une précarité de façade.
Une jurisprudence aux conséquences majeures pour le sport professionnel
Jusqu’à présent, les clubs professionnels bénéficiaient d’une relative sécurité juridique quant à l’usage des CDD. L’arrêt Rabiot pourrait ouvrir une brèche. Il invite les juridictions à scruter plus attentivement les pratiques contractuelles des clubs et à s’assurer que la logique économique ne prime pas sur les droits fondamentaux des salariés.
Une requalification pourrait obliger les clubs à revoir la nature des contrats signés avec leurs joueurs.
Risques de contentieux en série
La requalification en CDI peut entraîner des conséquences lourdes pour les clubs : indemnités de licenciement, dommages-intérêts pour rupture abusive, rappels de salaires, etc. Elle pose également la question du statut même des joueurs et de leur mobilité : un CDI implique des règles différentes en matière de rupture et de transfert.
Réformer ou sécuriser ? Vers un nouveau cadre contractuel ? Vers une refonte du cadre légal ?
L’affaire relance le débat sur l’équilibre à trouver entre flexibilité sportive et protection sociale. Faut-il encadrer davantage le recours aux CDD spécifiques ? Instaurer un nombre maximal de renouvellements ? Clarifier les conditions de rupture ?
Des clubs sommés de se réinventer
En attendant, les employeurs du sport doivent sécuriser leurs pratiques : mieux motiver leurs contrats, éviter les renouvellements automatiques, assurer une gestion RH conforme au droit du travail. L’époque du CDD « de confort » semble bel et bien révolue.
L’affaire Rabiot s’inscrit ainsi dans une tendance forte visant à mieux encadrer les pratiques contractuelles dans le sport professionnel
Conclusion : un précédent de poids
L’affaire Adrien Rabiot n’est pas un simple litige individuel. Elle incarne une évolution profonde du regard que porte le juge sur les pratiques contractuelles du sport professionnel. La notoriété des protagonistes renforce d’autant le poids de la décision. Le temps de l’exception permanente semble révolu. Désormais, même sur le terrain du football, le droit du travail entend jouer les prolongations.