La franchise en mouvement : s’adapter aux défis du numérique et de l’IA

Alicia COLLOT, Juriste

Depuis plusieurs années, la franchise est profondément transformée par la révolution numérique et l’essor de l’intelligence artificielle. Ces mutations bousculent non seulement les habitudes de consommation, mais également la structure même des réseaux de franchise. Parmi les enjeux majeurs, figure la question de la vente en ligne par le franchiseur, qui crée une situation de double distribution, à savoir une cohabitation entre le réseau physique de franchisés et la plateforme numérique du franchiseur. Ce phénomène soulève notamment des interrogations sur la concurrence interne au réseau et imposant ainsi un nouvel encadrement juridique.

1. Double distribution et tension concurrentielle

La vente en ligne du franchiseur peut apparaître comme une concurrence directe vis-à-vis des franchisés, surtout lorsque les prix, les conditions commerciales ou la visibilité en ligne diffèrent. Cette tension est au cœur de ce que l’on appelle la double distribution : le franchiseur agit à la fois en tant que fournisseur pour ses franchisés, et en tant que concurrent lorsqu’il vend directement en ligne les mêmes produits ou services.

Une jurisprudence emblématique, l’arrêt Jardin des Fleurs rendu par la Haute juridiction le 14 mars 2006 n°03-14.639, a toutefois précisé que la vente en ligne par le franchiseur n’était pas illicite et demeurait passive, tant qu’elle respectait certaines règles encadrant la concurrence.

A ce titre, l’ordonnance du 1er juin 2022 est venu apporter un cadre juridique rénové à cette évolution par plusieurs règles clés :

  • Le franchiseur ne peut pas interdire au franchisé l’usage d’internet pour exercer son activité commerciale.
  • Il doit veiller à ne pas restreindre excessivement l’autonomie commerciale du franchisé, afin de ne pas étouffer son activité.
  • Une interdiction faite au franchisé de créer son propre site internet est tolérée uniquement si elle s’accompagne d’une compensation financière, par exemple sous la forme d’un

Toutefois, une limite importante a été posée pour les plateformes hybrides, à l’instar d’AMAZON qui vendent à la fois des produits qui leur sont propres et accueillent des vendeurs tiers.. Ces derniers ne bénéficient pas de cette exemption, ce qui vise à éviter une distorsion de concurrence au détriment des réseaux intégrés.

2. Mutation du rôle du franchiseur à l’ère numérique

Avec l’intégration des technologies digitales, le rôle du franchiseur évolue en profondeur. Il n’est plus seulement le détenteur d’un concept commercial (recette, charte graphique, agencement), mais il devient un véritable orchestrateur de flux :

  • Flux logistiques, en organisant les livraisons et la gestion des stocks ;
  • Flux de données, qu’il collecte, analyse et redistribue au réseau pour améliorer les performances ;
  • Coordination numérique, avec des outils centralisés ;

Le franchiseur devient ainsi une plateforme de services multicanal et multiformat, proposant à la fois des boutiques physiques, de la vente en ligne, du click & collect, et des formats variés (corner, pop-up store, grande surface, etc.). Cette évolution impose toutefois un changement de posture : il ne suffit plus de transmettre un savoir-faire initial, il faut accompagner en permanence les franchisés dans leur transformation numérique.

En sus, les obligations du franchiseur ont été renforcées par de nombreuses jurisprudences, notamment par un devoir d’information continue, au-delà du devoir précontractuel. Le franchiseur doit désormais informer régulièrement ses franchisés en ce qui concerne :

  • Les évolutions du marché ;
  • Les nouvelles technologies ou outils intégrés au réseau ;
  • Les adaptations du concept ou les nouvelles stratégies commerciales ;
  • Les modifications réglementaires impactant l’activité.

Cette obligation d’information continue marque une transformation du contrat de franchise en une relation partenariale dynamique, où la transmission du savoir-faire ne se limite plus au démarrage du contrat, mais s’inscrit dans un processus d’adaptation permanente et post-contractuel.

3. Réseaux sociaux et image de marque : un enjeu stratégique

La montée en puissance des réseaux sociaux modifie également la relation entre franchiseur et franchisé. Ces plateformes sont devenues des outils incontournables de visibilité et de communication. Le franchiseur doit non seulement encadrer l’usage de ces canaux (respect de la charte graphique, ton de communication, images utilisées), mais aussi former et accompagner ses franchisés pour que la présence en ligne soit cohérente avec l’image de marque globale.

L’enjeu n’est pas des moindre : une mauvaise communication locale peut nuire à l’ensemble du réseau, alors qu’une stratégie sociale bien coordonnée peut au contraire démultiplier la notoriété de l’enseigne.

4. Les conditions d’un réseau performant à l’avenir

Pour que le modèle de franchise reste performant à l’avenir, le franchiseur devra ainsi investir sur trois axes :

  1. Technologies modernes : CRM, IA, outils de prévision, logiciels de caisse connectés sont devenus des indispensables ;
  2. Formation continue : les franchisés doivent être régulièrement formés aux nouveaux outils, pratiques de gestion et méthodes commerciales ;
  3. Présence numérique active : la visibilité sur les réseaux sociaux et dans les moteurs de recherche devient un critère de compétitivité essentiel.

Ainsi, la digitalisation et l’IA ne remettent pas forcément en cause le modèle de la franchise, mais le réinventent en profondeur. Le franchiseur de demain ne sera plus un simple « donneur de concept », mais un architecte de réseaux intégrés, capable de piloter des flux, de coordonner des outils numériques et de maintenir une cohérence de marque sur tous les canaux. Pour cela, le droit accompagne cette transformation, en garantissant un équilibre entre les intérêts du franchiseur et ceux du franchisé, dans un environnement commercial toujours plus compétitif.

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